Peggy Bougy, Sur l'intervention en classe

Sur l'intervention en classe comme travail artistique.

Il était une fois… Dessins et autres obsessions.

Le rhizome.

Le rhizome à la rencontre de l'autre : histoire d'une greffe.

Et tout sera de toute façon à refaire….

Conclusion

   

Sur l'intervention en classe comme travail artistique.

En fait, il ne faut pas considérer l'intervention en classe comme étant en marge du travail plastique. Nous ne sommes pas dans le schéma où le travail plastique serait le centre et les interventions, des activités périphériques. Cette rencontre avec le monde scolaire est plus à voir comme une ouverture du travail d'atelier sur le monde, permettant de voir son travail sous un autre angle et ainsi de le remettre en cause, en question et donc de le faire avancer d'une façon différente. Encore faut-il dans ce cas que l'intervention soit pensée en cohésion avec sa démarche artistique, pour faire en sorte que les choses communiquent. Il s'agit de tirer des lignes de fuite depuis son atelier vers la classe. Gilles Deleuze et Félix Guattari parlent à ce propos de « déterritorialisation » et de « reterritorialisation », en considérant les choses comme des agencements calqués sur le rhizome, c'est-à-dire regroupant des éléments hétéroclites en lien constant les uns avec les autres, tel un flux travaillant les énergies et les déplacements. Si j'aborde cette notion de rhizome c'est parce que, dans mon travail, je l'interroge dans son rapport au dessin. Aussi peut-on considérer alors l'intervention en milieu scolaire comme faisant rhizome avec mon travail plastique.

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Il était une fois… Dessins et autres obsessions.

« Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité ! Ca a l'air simple. Pourtant, il y a vingt ans que j'essayais ; et je n'eusse pas réussi, voulant commencer par là. Pourquoi pas ? (…) J'en viens à la pomme. Là encore, il y a eu des tâtonnements, des expériences ; c'est toute une histoire. Partir est peu commode et de même l'expliquer./ Mais en un mot, je puis vous le dire. Souffrir est le mot./ Quand j'arrivais dans la pomme, j'étais glacé. ».C'est là peut-être le début de quelque chose : l'envie de rentrer au plus loin dans le modèle, afin de l'oublier à tant le posséder dans la tête, dans le geste. D'où cette répétition des croquis, des dessins pour que finalement le tracé revienne dans l'oubli de ce que l'on est en train de faire, pour laisser apparaître autre chose. "

Aussi, le dessin devient-t-il à la fois ligne et contour, enveloppe, peau et cocon. Il se montre alors comme une frontière fluctuante entre intérieur et extérieur. On peut alors sans ambiguïté passer du plan à l'espace. D'où des fruits dépecés, qui ne sont plus que des formes vidées, redevenues surface qui m'ont fait glisser du dessin au patron. Il y a à ce moment l'apparition du geste « découper » qui me permet d'obtenir des formes molles qui seront accrochées, pendues. Dès lors, elles sont à la fois surface et volume jouant du rapport entre ligne tracée et découpage. Elles vont pouvoir foisonner comme autant d'écorchés.

C'est à partir de ces formes et le rapport qu'elles entretiennent avec le dessin, par l'intermédiaire du patron (tracé, découpé), qu'est né cet intérêt pour le tissu découpé, cousu et retourné. On passe alors du plan au volume sans quitter pour autant les préoccupations du dessin, si n'est que la notion de retournement se surajoute. Ce qui met en évidence la relation entre l'intérieur et l'extérieur de la forme. Si l'on considère le premier geste de tracer sur le tissu, on agit sur l'endroit. De la même façon on découpe l'endroit du tissu puis on le coud. Ensuite, tout s'inverse dans la mesure ou la couture induit le retournement de la forme ainsi obtenue. Le dessin (l'endroit) se retrouve alors à l'intérieur et de ce fait l'extérieur, à l'intérieur. Cet aspect est accentué par le fait que tout le tissu est rentré jusqu'à obtention de la forme. Tout cela comme si l'intérieur se retrouvant à l'extérieur absorbait tout ce qui était jusqu'alors l'extérieur. Il s'agit donc là d'un jeu sur le retournement et sur la frontière entre intérieur /extérieur ou envers/endroit.

Ce sont des surfaces qui froncent, se replient sur elle-mêmes dans des méandres à la fois très graphiques et très évocateurs de l'échange entre dedans /dehors, qui, finalement, est tout le jeu de notre corps, qui ne cesse d'être au prise avec ce tiraillement, que ce soit de façon réelle ( la peau comme zone poreuse, la respiration, la digestion) ou métaphorique ( introspection, communication, repli sur soi, pensée…). Et c'est la peut-être aussi toute la pertinence du rhizome qui se développe, coure sous la surface mais doit aussi éclore au-dessus de cette surface pour y replonger. Le rhizome interroge la surface et perfore la frontière entre le dessus et le dessous, brouillant les pistes.

Ce travail sur l'interpénétration entre l'intérieur et l'extérieur est travaillé de façon métaphorique dans les vidéos réalisées en parallèle. Les séquences vidéo racontent ceci. Elles n'ont ni début ni fin dans la mesure où le début est arbitraire et la fin sans fin puisqu'elle reste à suivre dans l'attente d'autres images. Ce qui est mis en jeu c'est la confrontation de l'intérieur et de l'extérieur, de l'intime et du public. Le but recherché est d'obtenir un flux d'images qui fait se succéder des moments plus ou moins anecdotiques, plus ou moins lisibles, et enfin plus ou moins fantasmés. Il s'agit plus d'un carnet de bord, un carnet de recherche qui met sur le même plan photos, textes, prises de vue vidéo, dessins et croquis.

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Le rhizome.

« Tige souterraine des plantes vivaces, le rhizome est un organe assurant au végétal un refuge contre le froid et la sécheresse. Il développe dans cette optique, un réseau complexe de ramification proliférante. Dans le réseau rhizomatique, la texture génère du potentiel supplémentaire pour l'action en restant à la fois pliable et malléable, telle une chaîne d'éléments simples, en opposition à un réseau fait de liens fixes. »

C'est ce qui sous-tend dans mon travail plastique. Comment, en effet, interroger le dessin dans son sens élargi, sans cette relation au développement rhizomatique?

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Le rhizome à la rencontre de l'autre : histoire d'une greffe.

« Reterritorialisation… ». Rencontre …

Comment penser une approche possible de mon travail au cours d'ateliers? Quelles notions plastiques apporter? Comment réussir une greffe qui prenne ? Autant de questions posées dans le cadre de cette recherche menée en amont de l'arrivée en classe ou dans l'atelier.

D'une intervention en classe (Bourges 2002, classe de CE1)

A l'issue de cette intervention, les enfants ont réalisé cinq volumes et cinq dessins sur papier de soie mais il y a également toutes les étapes qui n'ont pas donné lieu à une concrétisation matérielle mais qui ont été importantes pour faire passer mon intérêt pour le dessin et à accompagner le passage au volume, le jeu de glissements depuis les premiers croquis jusqu'au sculptures molles. Bref, on a cherché à utiliser le dessin dans ses diverses fonctions, tout en expérimentant des matériaux, des supports, des outils. Par la combinaison de ces matériaux, les enfants ont réalisé une production collective menée à partir de consignes précises pour produire du sens, à savoir rendre autonome un volume racontant autant d'étapes de la germination, du dessin. En effet, ces sculptures molles sont la cohésion d'autant d'actions de déstructuration des formes pour en obtenir d'autres, d'isolement d'un fragment (relevé au calque ou photocopie), de collage, d'assemblage, d'agencement, d'installation. Tous ces éléments étaient en fait les objectifs généraux de l'intervention. Plus particulièrement, les différentes séquences ont articulé différentes consignes permettant aux enfants de :

•  A partir d'un dessin d'observation, jouer avec les formes en les reproduisant (photocopie, calque, copie)

•  Etre capable d'en isoler une silhouette.

•  Combiner par collage, superposition des dessins nés de différentes techniques.

•  Passer du plan au volume par une technique de couture (patron)

•  Comprendre la notion de retournement lié à la couture

•  Envisager l'ensemble des travaux et en prévoir l'accrochage.

 

Finalement, je m'aperçois maintenant que si la réalisation finale est importante, elle ne l'est qu'en tant que trace de tout ce qui s'est passé, de tout ce qui a été expérimenté et qui malheureusement n'apparaîtra que très mal dans ce qui sera exposé. Mais après tout, il en est ainsi de tout travail : dès lors qu'il est présenté, ce qui s'est passé dans l'atelier disparaît. Cela dit, dans la mesure où la notion de processus est importante dans ma démarche, j'aurai aimé pouvoir la travailler plus avec les enfants, profitant de la notion de germination comme parallèle. J'ai tenté de le faire mais trop superficiellement. En outre, si le travail collectif était important pour permettre aux enfants de se concerter entre eux et de travailler plus facilement, il aurait fallu ménager cependant des réalisations individuelles pour redonner du souffle au travail et valoriser plus chaque enfant. En effet, je me suis aperçue que dans chaque groupe certains devenaient passifs et acceptaient les idées des autres. Donc, si le travail en groupe permet des réalisations plus ambitieuse et une réflexion commune, il faut à mon avis l'intercaler avec des éléments travaillés individuellement afin que chacun prenne sa place dans le projet. Aujourd'hui, j'ai peur que certains enfants se soient sentis en retrait de l'atelier, et je regrette de ne pas m'en être aperçue assez tôt pour leur redonner une place. Mais il est vrai que étant donné la place de l'artiste au cœur du travail, il est difficile d'avoir le recul suffisant pour observer et remédier à ce genre de choses et ce doit être cela qu'il faut en priorité travailler avec l'instituteur. Or, je n'ai pas pu expérimenter ces relations avec l'institutrice dans la mesure où d'une part, deux personnes se partagent ce poste et je n'ai finalement pas eu toujours affaire à la même personne et d'autre part étant stagiaire dans une école d'application, je n'ai jamais vraiment eu l'impression d'intervenir réellement en tant que professionnelle, mais de toujours être dans la simulation en ce qui concerne les rapports avec les enseignants.

Ce sont les points majeurs sur lesquels je tenais à revenir. Bien sûr, il y eu bien d'autres maladresses au cours des ateliers mais cela participe de ma personnalité et finalement ce sont ces maladresses qui font de cette rencontre aussi une rencontre entre individus et ce n'est pas ce qui, après coup, me gêne le plus. Ce que je tiens enfin à ajouter avant de terminer cette synthèse des séquences est l'intérêt de bien penser aux synthèses en fin de chaque journée avec les enfants, d'autant plus que chaque intervention était séparée de un mois des autres. Ces synthèses permettent de mettre à plat ce qui vient d'être fait et de prévoir ensemble ce qui sera à faire. Ainsi, les enfants sont inclus dans le projet et peuvent se projeter dans la suite. En ce qui concerne mes séquences, je pense ne pas avoir eu assez de confiance pour laisser les enfants intervenir dans la construction du projet. Par souci de bien faire, tout était trop cadré et planifié et l'imprévu n'a eu que peu de place. Peut-être en a-t-il été ainsi parce que les temps de synthèse ont manqués pour amener les enfants à interroger la démarche future possible, même si je l'avais déjà mise en place. Cela pose en fait la question de comment engager l'enfant dans un projet personnel au sein d'un projet déjà mis en place par le plasticien intervenant. C'est là je pense la partie la plus « pédagogique » de l'intervention, la plus périlleuse à mettre en place, à savoir comment emmener l'enfant sur les traces de ce que j'ai prévu, tout en laissant la place à son questionnement comme base de la construction du projet ?: « Comment pourrait-on faire pour… », amenant les enfants à formuler des hypothèses pour construire leur projet. Cela dit, j'ai quand même été surprise par les réalisations finales.

Pour conclure, j'aurais aimé investir plus l'espace de la classe de façon à familiarisé les enfants avec ce qu'est un atelier. Peut-être aurait-il fallu travailler ensemble sur la ré-installation de la classe, en début de chaque atelier pour sortir de la classe, tout en restant au même endroit. Ici, la classe était encore trop présente.

 

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Images...

 

 

Et tout sera de toute façon à refaire….

Quelles leçons retirer de cette expérience ?

Cette expérience m'a permis de comprendre principalement comment le cadre dans lequel intervient l'artiste n'est pas anodin. La classe n'est pas neutre. Elle impose des règles de vie, une organisation précises et importantes. Si l'artiste intervient avec ses connaissances, ses acquis, ses envies, il doit aussi savoir entrer en contact avec cet univers clos et particulier. Avec les enfants, d'une part, il doit bien leur faire comprendre quand il se présente qu'il n'est pas un enseignant mais un intervenant qui ne prend pas la place de l'enseignant mais faire partager son métier à la faveur de la mise en place d'un projet. Avec l'enseignant, d'autre part, il doit travailler avec sa connaissance des enfants et sa capacité à avoir une vue globale et plus en recul de ce qui se passe, et il est nécessaire de le consulter pour recadrer les choses en fonction de chaque petit disfonctionnement. D'où l'intérêt d'une vraie collaboration avec l'enseignant en amont du projet mais aussi pendant les ateliers.

Ensuite, j'ai pu constaté à quel point la configuration de l'espace de la classe était lourd et il est peut-être nécessaire de travailler aussi au changement progressif de cet espace lors des interventions. Ce serait finalement comme si on recouvrait la classe avec le travail produit : les éléments existant habituellement dans la classe aurait pu ainsi être recouvert au fur et à mesure et ainsi reconfigurer le lieu, comme s'il avait changé, transformé par le travail plastique.

Enfin, ce qui est important c'est de laisser la place aux enfants dans le projet au fur et à mesure et envisager des changements dans la mise en place dès lors que les enfants en émettent le souhait lors des synthèses et que cela est cohérent (en parler avec eux).

Comment recommencer sans en revenir au même ?

La réponse à cette question est évidente . Dans la mesure où le projet mis ici en place est issu d'un des aspects de mon travail, il est possible de mener d'autres projets à partir d'autres aspects de ma pratique. Là, on a décidé de travailler à partir de la germination pour aborder les notions de transformation induites par ma vision du dessin et de son rapport au volume par le passage au plan, au patron. De plus, j'ai travaillé avec des enfants en cycle 2. D'autres interventions pourront me mener à rencontrer des enfants d'autres âges ou des adultes et là il faudra revoir quelles notions abordées et comment le faire.

 

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Conclusion

L'art élargi : l'intervention.

L'art se doit donc d'être vivant et l'action d'un artiste hors des circuits de l'art doit en être un des aspects, comme ouverture sur une pratique contemporaine, faisant écho à une approche historique. De plus, l'art permet de penser autrement, « de travers » et de proposer une alternative à d'autres approches plus cadrée. Ainsi donne-t-on la possibilité d'une autre voix, artistique celle-là, qui permet de dire aussi la curiosité, l'ouverture et la tolérance, dans la mesure où la même chose peut-être dite chaque fois différemment. Penser par soi-même n'est pas simple, l'art peut le favoriser de façon plus claire, plus évidente, dans la mesure où il demande d'opérer des choix et d'adapter ses actions à ces choix. Enfin, il peut permettre de créer des vraies rencontres triangulaires entre l'artiste, l'enseignant, l'élève, l'amateur, prolongeant ainsi le travail de chacun dans celui des autres : faire rhizome…

Mon travail d'intervention.

Mon envie d'  « intervenir » participe de cela, de cette présence vivante de l'art mais c'est aussi une continuité de mon travail plastique, me permettant d'aller plus loin dans une démarche de déterritorialisation du travail.

De plus, il s'agit aussi d'exister socialement en tant qu'artiste dans la mesure où trop souvent on est artiste dans l'atelier, puis plus rien hors de l'atelier. Là, existence sociale et volonté artistique vivent l'un par l'autre et permettent de se dynamiser l'un l'autre.

Enfin, l'intervention n'étant pas un travail évident, il permet de se remettre en cause, de replacer son travail au centre et de la mettre en danger, dans la mesure où on le partage et on le triture pour le faire exister autrement et le proposer à d'autres.

Les enfants et le travail plastique.

A la faveur de ce type d'intervention, les enfants se rendent compte qu'un artiste est vivant et accessible, avec qui ils peuvent communiquer. La présence de cette autre personnalité multiplie leurs interlocuteurs, enrichissant leur univers de communication. En ce qui concerne notre expérience, les enfants ont eu envie de m'inclure dans la vie de leur classe en me parlant de ce qu'ils avaient fait en biologie par rapport à la germination : « Tu as vu, on a afficher quelque chose sur la germination », m'avait fait remarquer une des élèves en me montrant un poster sur le mur.

Ensuite, le projet lui-même avait pour but, dans l'expérimentation de la métamorphose à travers le dessin de se mesurer à leur propre corps, à leur propre croissance.

Enfin, l'exposition des objets réalisés va leur permettre de faire sortir leurs idées hors de la classe et cela semble important alors même que leur apprentissage reste souvent dans la classe. D'ailleurs, quand j'ai abordé avec eux cette exposition une des enfants m'a dit « En voyant l'exposition, les gens diront qu'on a beaucoup d'imagination. »

 

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